mardi 5 décembre 2006

Les saints de chez nous.


Chers frères, chères soeurs,

Voici un blog consacré aux saints de chez nous, c'est-à-dire aux saints de Belgique. S'il plaît à Dieu, ce site s'enrichira au fil du temps pour devenir une sorte de forêt dans laquelle chaque arbre prie pour nous.

Le premier saint en ligne est saint Hadelin. J'habite un village qui porte son nom... Hadelin a eu un succès considérable, il était invoqué notamment pour venir au secours des enfants malades et l'on se rendait en pèlerinage sur ses reliques! Aujourd'hui, tout cela a disparu. Pour toujours? A nous de choisir... Hadelin, lui, continue de nous porter dans ses prières.



La Vie de saint Hadelin.

Cher ami lecteur,

Le message que tu lis fait partie d’une série intitulée « les Saints de chez nous ». Cette série n’a aucune prétention, si ce n’est de t’offrir la possibilité de mieux connaître ceux et celles de tes voisins qui peuplent aujourd’hui le Paradis de Dieu et qui chantent Sa Gloire en priant pour toi. On dirait aujourd’hui des « Saints de proximité » !
J’ai voulu dans mon texte t’offrir le meilleur résumé de ce que l’on peut savoir sur eux. Bien entendu, si tu recherches l’exhaustivité, tu seras déçu : le format-même du travail me contraint à la brièveté. Mais, tout de même, en cette époque de désintérêt pour les réalités du Ciel, il me semble important de t’offrir un outil pour parler de nos sœurs et de nos frères qui y vivent pour l’éternité.
En même temps que je t’offre le fruit de mon labeur, je l’offre aussi au Christ, gratuitement bien entendu. Si tu tiens à m’aider dans mes recherches, tu peux me faire un don, mais ne te sens obligé par rien. Par contre, j’espère pouvoir compter sur ta prière…
Ton ami dans le Christ Jésus,


Xavier.


La vie au 7ème siècle.
Il est bien difficile aux hommes d’aujourd’hui de se figurer ce que pouvait être la vie au septième siècle. Les dimensions de cet ouvrage, volontairement bref, ne nous permettrons pas d’en rendre compte tout à fait. Voici tout de même quelques indices, afin que le lecteur puisse donner un cadre à la vie de notre saint.
Au septième siècle, le temps était volontiers froid et humide dans nos régions, plus encore qu’aujourd’hui. Une forêt extrêmement dense avait poussé partout, qui traversait presque sans interruption l’Europe, de la Bretagne à la Finlande.
Dans cette forêt, quelques villes, pour la plupart nées à l’époque romaine, tâchaient de subsister malgré les désertions et la progression lente des ruines.
Se déplacer posait problème. Les anciennes voies romaines n’étaient pas suffisamment entretenues et l’on y croisait régulièrement des troupes sans foi ni loi. Si l’on préférait suivre les fleuves et les rivières, il fallait se méfier des nautoniers, parfois peu scrupuleux. Enfin, celui qui voulait couper par les chemins, au travers des forêts, exposait sa vie aux griffes des nombreux animaux sauvages (lynx, loups, ours…) ainsi qu’au caprice de groupes plus dangereux encore : humains rejetés loin des villes du fait des maladies ou de la superstition, tribus totalement isolées, restes épars de la grande horde hunnique. Notons que nombre de ces derniers, petits hommes aux traits asiatiques, sales et terrifiants, sont à l’origine de nos légendes sur les gnomes et les farfadets, les nutons et autres nains des bois… Ces misérables, déchus même du titre de Huns, finirent par s’éteindre, victimes de la peur qu’ils provoquaient encore trois siècles après la grande ruée, mais aussi de leurs conditions de vie et de la consanguinité systématique.
De toute façon, la vie humaine ne valait pas grand-chose au septième siècle. L’espérance de vie ne dépassait guère 25 ou 30 ans dans les campagnes. La sous-alimentation était chronique et les habitudes alimentaires déplorables. L’eau potable était rare et on lui préférait le vin et la bière, moins toxiques. L’habitat rural datait le plus souvent de la période romaine (des villas, amputées d’une bonne partie de leurs terres et de leurs installations ) ou du néolithique (sortes de maisons en torchis, au toit bas, que la famille entière partageait avec les animaux et où l’on dormait, pêle-mêle, sur une vaste paillasse). Quelques fermes d’une forme nouvelle, relativement spacieuses et confortables, font également leur apparition dans ces dernières décennies des royaumes mérovingiens. Les guerres, considérées par la noblesse franque comme la seule façon honnête de gagner sa vie, sont incessantes. Dans ces conditions, nombreux sont ceux qui tuent, rançonnent ou enlèvent pour vivre. Le commerce des esclaves (hommes, femmes et enfants) est chose courante et les rois eux-mêmes s’y adonnent. D’ailleurs, bon nombre de ces rois mérovingiens ne respectent aucune vie, ils s’entretuent (y compris entre frères) pour des questions de butins, d’héritage ou de susceptibilité.
Mais le septième siècle n’a pas été que cela. Grâce à Dieu, au cœur de ces ténèbres, la grâce a abondé ! Ce ciel nocturne est tout clouté d’étoiles, constellé de saints…
On en trouve comme s’il en pleuvait ! Tant, qu’il est impossible de les citer tous et, probablement, que l’histoire n’a pu en conserver le souvenir. Des saints en pagaille, partout, dans les bois, dans les villes, les villas et les villages, dans les forêts, dans les palais. Des ermites décharnés, des moines inspirés, des artisans doués, des princes et des princesses et, même, des rois.
Et la plupart de ces amis de Dieu voyagent. A l’époque, une Bernadette Soubirous ou une Thérèse Martin sont presque impensables. Pour être saint, il fallait marcher, vaincre tous les dangers, fonder des abbayes, des monastères, des règles et congrégations, évangéliser à tout va des peuples rétifs et violents, se battre pour la Foi, la Vérité et l’Amour et ce combat-là aussi avait ses victimes : nombre de nos saints sont martyrs !
Pas Hadelin. Lui, contrairement à d’autres, Lambert par exemple, ou Dagobert II, n’a pas été assassiné. Pour autant, sa vie n’a pas été de tout repos…


L’enfance d’Hadelin.
Il est né, probablement en 617, dans la région de France que l’on appelait alors « Aquitaine ». Cette terre couvrait un vaste territoire qui courait le long de la côte atlantique, de la Loire aux Pyrénées. C’était un pays où coulaient le lait et le miel, une sorte de Paradis. Il y faisait chaud, les récoltes se succédaient sans surprise, les « envahisseurs », Wisigoths puis Francs, avaient respecté les villes, les monuments et les habitudes romaines. L’Aquitaine était également connue pour sa ferveur catholique, même sous l’occupant wisigoth, pourtant arien et donc hérétique. D’ailleurs, cette région va, au cours du 7ème siècle offrir au monde un grand nombre de saints et d’évangélisateurs.
Hadelin naît là, au milieu des fruits et des céréales, mais les anciens textes ne nous apprennent que peu de choses sur ses premières années. L’hypothèse qui nous paraît aujourd’hui la plus probable le fait grandir dans le confort relatif d’une famille noble d’origine germanique, probablement entre Limoges et Bordeaux. Ses parents, dont nous ignorons les noms, étaient fortunés et, d’après la tradition, fervents catholiques.
Le nom de notre saint, en vieux germanique, signifiait le « noble doux » et il le porta fort bien dès le plus jeune âge puisqu’il se fit très tôt remarquer par la douceur de son caractère et par sa bonté. Il s’intéressa d’avantage aux pauvres et à Dieu qu’aux affaires familiales et comprit bientôt la vanité du pouvoir et des richesses. Dès lors, il se battit pour juguler en lui les passions et marcha résolument sur le chemin du Salut.


La Vocation.
Au cours d’une veillée de prière, dans l’oratoire de la maison paternelle, Hadelin ressent en son cœur la volonté puissante du Seigneur, l’appel, la vocation qu’il attendait : il doit se rendre à Solignac, non loin de Limoges, afin de se placer sous l’autorité du futur saint Remacle. Comprenant que c’est là sa voie, sa vie, il se lève et, sans hésiter, fait ses adieux à ses amis et à ses parents, renonce aux titres et aux biens, et s’élance joyeux vers l’abbaye de Solignac, nouvellement fondée par saint Eloi et dirigée par Remacle.
C’est sous ce maître exceptionnel qu’il va vivre son temps de noviciat. Bientôt, les deux hommes vont se lier d’amitié, lien particulièrement fort dans le monde mérovingien, et ils vont nouer leurs vies l’une à l’autre. Hadelin sera l’intime, le confident de Remacle, jusqu’à la mort de ce dernier.
Assez vite, Remacle est appelé à la cours de Sigebert III, futur saint lui aussi, et roi d’Austrasie (qui comptait l’est de la France, la Belgique et une partie de l’Allemagne). Hadelin suit. En 644, Sigebert les charge de fonder à Cugnon, près de Bouillon, une abbaye. On montre aujourd’hui encore la grotte où habita Remacle. Mais l’installation était fort insalubre et Sigebert, qui souhaitait émailler sa forêt de monastères, leur proposa une double fondation à Stavelot et à Malmédy.
Les vallées paisibles que l’on traverse aujourd’hui entre ces deux villes ne correspondent en rien avec l’aspect du pays à l’époque. Sigebert lui-même, pourtant grand amateur de chasse, caractérise l’endroit de « désert affreux » servant de « nid à toutes sortes d’animaux dangereux ». Bien vite, ils vont bâtir une palissade avec quelques moines et ouvriers, puis une première chapelle en bois, toute petite (pour vous faire une idée, cette chapelle se trouvait tout entière comprise dans la dernière travée du transept nord de l’abbatiale de Stavelot !)


La Vie publique.
Hadelin avait résolu sans doute de passer sa vie entre le travail et la prière, suivant ainsi la toute récente règle de saint Benoît, mais Dieu en décida autrement. En 650, saint Amand, évêque de Maastricht, choisit de renoncer à ses fonctions du fait de la mauvaise volonté de ses ouailles. La réputation des fondateurs de Stavelot-Malmédy était telle que les paroissiens affolés demandèrent aussitôt à Remacle de le remplacer. Evidemment, il prit soin d’emmener Hadelin, non sans l’avoir auparavant ordonné prêtre, afin qu’il pût combattre avec lui le paganisme toujours vivace dans nos régions.
On dit qu’Hadelin fit merveille dans son rôle d’évangélisateur. Son calme, sa douceur, ses sourires, la sérénité et la confiance avec lesquelles il gouvernait sa vie, son éloquence aussi, toute simple, mais vibrante et sincère, firent de lui une sorte de coqueluche parmi les petites gens.
Mais la vie d’évêque est fatigante. Surtout lorsqu’on atteint un âge avancé à cette époque où l’on est vieillard à 40 ans. Après dix années d’épiscopat, Remacle renonça à sa charge (non sans peine, les chrétiens craignant de ne pas retrouver de guide si un second évêque les quittait !) et Hadelin l’accompagna, à Stavelot d’abord pour y prendre du repos, puis à Rome, en pèlerinage sur la tombe des apôtres Pierre et Paul.
Nous aimerions glisser ici une remarque. Que sont allé faire Remacle et Hadelin à Rome ? Un simple exercice de dévotion ? Ou bien s’agissait-il d’une mission diplomatique ? L’Austrasie des années 655-675 est secouée par plusieurs crises majeures liées à la succession de Sigebert III. Nos deux compères exercèrent-ils des pressions ? Les évêques et abbés de l’époque jouaient un rôle politique majeur. Nous verrons d’ailleurs Pépin de Herstal en personne auprès d’Hadelin. Quelle fut la politique défendue par Hadelin ? Fut-il favorable à Pépin ou à Dagobert II, aux ministres ou au souverain, au droit ou à l’audace ? Il faudrait ici engager des recherches longues et minutieuses dont cet opuscule ne peut se faire l’écho. Mais nous renvoyons notre lecteur à ses propres réflexions et, si Dieu le veut, à une prochaine publication.


Le Pays entre quatre montagnes.
C’est lors de leur retour de la ville éternelle que se situe un épisode majeur de la vie d’Hadelin, épisode que la tradition nous rapporte sous forme d’une histoire agrémentée de quelques-unes des rares paroles de nos deux saints :
« Accablé de chaleur, de fatigue et de sommeil, le saint s'était couché sur la dure et reposait profondément endormi. Le soleil dardait ses rayons sur le visage d'Hadelin, lorsque Remacle qui veillait près de lui, vit une colombe d'une extrême blancheur qui vint étendre ses ailes au dessus du visage de son compagnon et le garantit par son ombre de la chaleur qui aurait pu interrompre son sommeil. Après son réveil, Hadelin à qui la colombe était apparue en songe, résolut de prier quelques jours avant de donner connaissance de ce fait à son pieux directeur, parce qu'il pensait que ce n'était qu'une illusion; mais saint Remacle, le prévenant, l'obligea à lui déclarer ce qu'il avait vu pendant son sommeil. Hadelin surpris de cette demande, mais convaincu que l'obéissance est une source féconde en bénédictions, et qu'obéir à son supérieur, c'est obéir à Dieu même, lui dit d'un ton modeste et plein d'humilité: "Puisque vous me l'ordonnez, ô Père vénérable! je me fais un devoir de vous découvrir la vision que j'ai eue. J'ai vu, pendant mon sommeil, une colombe descendre du ciel, voltiger autour de mon visage et se reposer ensuite sur ma tête; mais je vous avoue que je ne puis comprendre ce que ce présage peut signifier."
Alors Remacle qui savait à quoi Dieu destinait son bien aimé disciple, le regardant d'un oeil plein de tendresse s'écria : "O Hadelin, mon cher Hadelin, que votre vertu est grande ! Je reconnais que votre vertu surpasse beaucoup la mienne, et que je ne suis pas digne de vous avoir plus longtemps pour compagnon, vous que les Anges daignent servir. Cette colombe signifie-t-elle autre chose que l'Esprit-Saint qui reposa sur la tête du Sauveur dans le fleuve du Jourdain. Ce même Esprit a épanché ses grâces dans votre cœur, et vous a choisi de toute éternité pour le servir. N'hésitez point, mon cher fils, suivez la voix du Tout-Puissant qui vous appelle, allez établir votre demeure dans une vallée que vous trouverez entre quatre montagnes, près de la Lesse. Vous y bâtirez un oratoire où vous chanterez les louanges du Créateur avec des disciples que l'amour de la pénitence vous y attirera; mais ne m'oubliez pas, ô mon cher fils! Souvenez-vous de moi dans vos prières, venez puisque vous en avez encore les forces; venez vous dis-je, consoler ma vieillesse de la perte que je vais faire."
En disant ces mots Remacle embrassait tendrement son ami et fondait en larmes, Hadelin se jeta à ses genoux, lui demanda sa bénédiction, et après mille protestations d'amitié, ils se séparèrent. » d’après un « carnet du pèlerin » de 1932, cité par http://www.amdg.be/
Ces paroles échangées ne sont sans doute pas tout à fait historiques ! Elles répondent simplement à l’authenticité du cœur, et d’un cœur aimant puisqu’elles furent recomposées par un des fils spirituels d’Hadelin. Car le voici qui sort de l’ombre amicale de Remacle. En marchant vers la Lesse, vers ces « montagnes » bien douces que l’on appelle aujourd’hui Celles, près de Dinant, c’est vers sa propre histoire qu’il marche, vers l’autonomie et la responsabilité.
Hadelin a une cinquantaine d’années lorsqu’il arrive devant ce pan de rocher qu’il nommera « cellule » et auquel l’actuel village devra son nom. Nous sommes en 670 environ.
Sur le chemin, il se rendit chez un certain Béon, un notable oublié aujourd’hui, pour lui demander le gîte et le couvert. Il s’agissait probablement d’un riche fermier de l’endroit. Mais Hadelin tombait bien mal, madame Béon agonisait sur la paillasse familiale, d’un mal dont nous ignorons tout. Et Béon, paniqué, repoussa Hadelin vers la porte. C’était compter sans le sang-froid et l’espèce de magnétisme qui irradiait de notre saint ! Le voici en effet, qui écarte doucement son hôte, l’invite à le conduire à la mourante et, dans cette pièce malodorante et sombre, persuadé d’avoir été guidé par Dieu, il prend ce lambeau de femme par la main, s’agenouille en lui regardant les yeux vides, et il prie. Il y a quelque chose d’impérieux, de rassurant dans ce moine inconnu et l’ami Béon se laisse aller à espérer, il rentre un peu sa détresse. Bientôt, le regard de la dame reprend vie, son visage se lave de la douleur, son corps s’ébroue et refoule les traces de la lente agonie : c’est le triomphe de la vie. Aussitôt, voici la maisonnée réunie autour de la maîtresse, en larmes, mais en larmes de joie : un bon moine, un homme puissant, un ami personnel du Tout-Puissant vient d’opérer un miracle… C’est la fête !
Evidemment, Béon est tout confus de son premier mouvement. Il tente à présent par tous les moyens de convaincre son visiteur de rester à la maison. En pure perte. Un saint ne s’arrête pas sur le chemin du devoir. Le voici déjà qui repart, entouré de quelques esclaves impressionnés que Béon lui a confié afin qu’ils le guident et qu’ils l’aident. Hadelin en fera des hommes libres en les prenant pour premiers compagnons.
A peine arrivés, Hadelin et ses frères creusèrent la roche pour aménager un oratoire. Ensuite seulement, ils se confectionnèrent des cellules en agrandissant des trous naturels. L’installation manquait évidemment de confort, mais ils s’en moquaient, se consacrant tout entiers au travail et à la prière, à la lecture des Ecritures ou des Pères et à la contemplation. D’ailleurs, leur travail lui-même était encore une prière. L’emplacement de la cellule d’Hadelin peut encore être visité aujourd’hui : il se trouve dans une cave sous la tour de l’ancien couvent de Celles, reconverti en école primaire.
Evidemment, le miracle opéré chez Béon et la sainte vie que menaient nos ermites eurent raison de l’isolement qu’ils souhaitaient. D’autres frères vinrent les rejoindre dans les bois, des esclaves encore, qu’il rachetait à leurs maîtres, suivant en cela la consigne de l’Eglise et le modèle de saint Eloi, mais aussi des hommes libres…
Bientôt, la renommée d’Hadelin, sa réputation de sagesse parvint jusqu’aux rives de la Meuse, à Jupille, où vivait en son palais l’homme fort du moment : Pépin de Herstal ! Celui-ci, d’après la tradition, fit plusieurs fois le voyage de Celles, afin de consulter Hadelin sur, dit-on discrètement, des « affaires de justice ». Mais que pouvait-il y avoir dans les préoccupations de cet homme, l’un des plus puissants d’Europe, à l’heure où il voulait écrire l’histoire en y gravant le nom de sa race, qui ne fût pas « affaire de justice ». Disons donc qu’Hadelin conseilla Pépin. Bien entendu, Pépin sut se montrer généreux en retour et dota le monastère naissant en terres.
C’est vers cette époque également, probablement dans les années 680, que l’on situe l’épisode des trois nobles qui vinrent trouver Hadelin pour lui faire don de leurs biens, de leurs terres et de leurs vies. Ces trois hommes, Béon et ses frères sans doute, le suppliaient en outre de les accepter dans sa communauté, ce qui fut fait.
Le monastère grandissait. Peu à peu, Hadelin devenait abbé. En bon disciple de Remacle (qui s’était éteint quelques mois après la scène de la colombe) et de Benoît de Nurcie, il veillait à donner à son rôle toute l’épaisseur paternelle qui lui convient. Il guidait, certes avec fermeté, mais aussi avec cette douceur et ce calme qu’on lui connaissait depuis toujours, l’ensemble des hommes dont la survie dépendait de lui. Son grand âge et sa sagesse, son apparence aussi de solide vieillard, le bruit grandissant des miracles que le Seigneur opérait par son intermédiaire, tout cela drainait des foules toujours plus nombreuses et bruyantes vers ses solitudes. Il arriva que certains visiteurs ou pèlerins ne respectassent pas la paix et le silence des lieux. Ce fut le cas notamment de deux chevaliers qui osèrent pénétrer dans le sanctuaire avec leurs chiens et leurs montures afin de suivre une proie ! Ils demandèrent ensuite l’asile au saint, qui la leur offrit bien volontiers, quoiqu’en l’accompagnant de quelques remontrances. Le lendemain, lorsqu’ils retournèrent dans la forêt afin d’y rejoindre leur équipage, ils trouvèrent leurs domestiques effarés, leurs chevaux morts et dépecés par les crocs de leurs dogues.
Effrayés et convaincus du respect que l’on doit à Dieu et à ses saints, nos hommes retournèrent à la cour où ils racontèrent sans fin leur histoire. Celle-ci finit par parvenir aux oreilles de saint Lambert, évêque de Maastricht, qui édicta immédiatement un arrêt empêchant quiconque d’entrer à Celles en armes ou à cheval.
Cette anecdote est particulièrement importante pour l’histoire de notre saint puisqu’elle va lui permettre de demander à Dieu le plus célèbre des miracles qu’on lui attribue : celui de la source !


Les Miracles.
Lambert en effet assortit son arrêt en faveur de Celles d’un don, celui d’une villa à Franchimont, entre Philippeville et Florennes.
Or, l’une des premières fois qu’Hadelin se rendit sur place, il trouva ses ouvriers exténués et en mauvaise santé à cause du manque d’eau. Une sècheresse interminable s’était abattue sur la région, tarissant l’un après l’autre tous les puits et les sources. La scène qui suivit nous est présentée sur le panneau droit de la châsse du saint (que le lecteur pourra admirer en la collégiale de Visé) dans une chef-d’œuvre d’orfèvrerie saisissant de maîtrise et d’audace.
Hadelin fut profondément ému par la détresse des villageois. Aussi, défiant la raideur de son corps (il avait à présent 70 ans, ce qui aujourd’hui correspondrait à 110 ou 120 ans !), Hadelin s’agenouilla. Et il parla, doucement, à Dieu. Il lui dit :
« Mon Dieu et mon Seigneur ! Toi qui te donnes à connaître aux hommes dans l’intimité de la prière. Toi qui vois un titre de gloire dans le fait d’être appelé Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob, alors que ces trois-là n’étaient que des créatures et Toi leur créateur ! Toi qui aimes. Dieu, mon père. Toi qui sauvas le peuple assoiffé dans le désert en faisant surgir une source du rocher. Tu le vois, il n’y a pas de Moïse ici. Il n’y a qu’Hadelin. Mais ton peuple, lui, est toujours là, le même. Et il espère encore voir surgir l’eau de la vie. Donne-la-lui ! Souviens-Toi de ta promesse, Toi qui as dit : Demandez, il vous sera accordé ! »
A ces mots, Hadelin planta dans le sol poudreux son bâton de vieillesse et, aussitôt, la terre devint humide, puis trempée, un mince filet d’eau se mit à couler avant de forcir et de se transformer en fontaine.
Deux fois dans l’histoire, la source tarit, en 1692 et en 1781. Les deux fois, une messe en l’honneur d’Hadelin fut dite à l’église de Franchimont et l’eau reparut. Elle coule encore aujourd’hui et guérit des personnes qui souffrent de la fièvre.
Les fidèles qui nous ont précédés ont gardé la mémoire de plusieurs autres miracles obtenus par l’intermédiaire d’Hadelin.
En voici quelques-uns.
Un jour qu’il s’était rendu à Dinant pour le marché, la foule se déchira devant une sorte de furie, échevelée, et qui poussait des cris effrayants. La créature se jeta aux pieds du saint qu’elle trempa de ses larmes. Hadelin demanda aux badauds assemblés qui était cette femme et ce qu’elle lui voulait, quel malheureux accident avait pu lui arriver. On lui répondit qu’il s’agissait d’une muette et, soit curiosité, soit piété, la foule réclama bruyamment un miracle. Hadelin se défendit en disant qu’il était indigne d’un tel honneur, que Dieu ne voudrait pas sans doute pas l’écouter, lui pécheur. Mais ils renouvelèrent leur demande. Un clerc lui signifia que, puisqu’il prêchait si souvent la bonté et la douceur, il devrait se laisser toucher à son tour par la détresse de cette pauvresse. Et, en effet, à force de la regarder pleurer et embrasser ses pieds, Hadelin se trouva profondément ému, à en verser des larmes, lui aussi. Il avait le sentiment de revivre une page de l’Evangile. Il dit, tourné vers ce ciel intérieur qui nous habite tous :
« Seigneur Jésus, mon Christ bien aimé. Toi qui aimes tant les hommes. Toi qui as ouvert les yeux de l’aveugle né, rendu la parole au muet et l’ouïe au sourd. Laisse-Toi attendrir par les gémissements de cette femme. Rends-lui la parole, comme Tu le fis au prêtre Zacharie. De cette façon, elle bénira Ton Nom, de même que tous ceux à qui elle racontera ton miracle ! Je te le demande, à Toi qui vis et règnes avec le Père et l’Esprit pour les siècles, AMEN. »
Ensuite, il traça le signe de la Croix sur la bouche de la femme qui, aussitôt, recouvra l’usage de la parole devant la population dinantaise assemblée.
Une autre fois, il arriva qu’une grande dame de la région de Namur, nommée Guiza, et qui avait eu l’occasion de rencontrer Hadelin, voulut lui léguer ses biens et ses terres. Mais sa famille ne l’entendait pas de cette oreille. Aussi ne fit-on rien pour légaliser ses intentions. Néanmoins, à chaque fois qu’on lui demandait à qui reviendrait ses bien, la dame répondait, têtue : « à Hadelin, au grand saint Hadelin ! » Guiza mourante arriva à les persuader qu’on aille chercher l’abbé. Mais le serf chargé du message fut si lent que la dame mourut avant l’arrivée d’Hadelin. Enfin à son chevet, le saint lui prend la main, et la morte ouvre les yeux, sourit, prend l’un de ses gants et le lui remet pour le constituer son héritier selon la coutume de l’époque.
On rapporte encore le cas d’une masure, seul abri d’une pauvre famille, détruite par un taureau furieux et que le saint aurait rebâtie par la prière…
Mais l’épilogue du parcours terrestre d’Hadelin approche.
Il est maintenant l’abbé d’un monastère aux proportions importantes, une sorte de foyer d’évangélisation au cœur de l’Ardenne. Les cellules initiales ont cédé la place à des bâtiments, certes simples, mais plus confortables que le rocher. Des religieux habiteront là pendant 7 siècles, jusqu’en 1338, date à laquelle ils se virent contraints de rejoindre Visé et d’emporter les reliques d’Hadelin.
Hadelin, malade, appela ses plus proches disciples et communia une dernière fois avec eux. Le 3 février 690, il retourna au Père.
On l’enterra dans la petite chapelle du monastère. Les miracles opérés à proximité de sa tombe furent si nombreux, notamment en faveur d’enfants et de nourrissons malades, que l’on dut bien vite agrandir l’édifice qui devint l’actuelle église de Celles.
Le lecteur, s’il le souhaite, peut encore se faire une idée de la chapelle primitive et de la première sépulture d’Hadelin en visitant la crypte occidentale.
Ici s’achève le récit de la très sainte vie d’Hadelin, abbé et fondateur de Celles-sur-Lesse.


Terminé le 20 novembre 2006, en la fête de saint Aubode, évangélisateur du Hainaut.
Que le Seigneur vous garde tous dans Sa Joie et Sa Paix.


Xavier.

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